S'abonner à un site qui n'affiche ni pub ni articles "sponsorisés", ne vend pas vos emails ou vos profils n’est pas une option, c’est la seule solution pour que demain il existe encore ! Soutenez MedShake, abonnez-vous ou faites un don ! [message masqué aux abonnés]

Suite des ANaJMG 2017, médecine Générale et outils numériques : les nouvelles technologies dans la formation

Publiée le par

logo billet
logo billet
Suite aux Assises Nationales des Jeunes Médecins généralistes organisées ce samedi 4 mars par le SNJMG, je pense qu'il est intéressant de revenir sur les différents sujets abordés lors de la table ronde à laquelle j'ai participé et qui, vu l'ampleur, n'ont pu être que très rapidement survolés.
Ce premier billet reprend la réponse complète que j'aurais souhaité formuler concernant l'intégration des nouvelles technologies dans la formation initiale / continue.
"Comment voyez-vous l'intégration des nouvelles technologies dans la formation initiale / continue ?" était donc la question qui m'a été posée par David Azerad, vieille connaissance ;-), et actuel secrétaire du SNJMG.

C'est un sujet très vaste. Je m'y suis intéressé depuis très longtemps maintenant avec remede.org et plus particulièrement ma thèse en 2005 intitulée "Internet et formation médicale, pratiques et attentes des étudiants en médecine". (Concernant la formation continue, j'avoue avoir moins examiné le sujet.)
Pour répondre à cette question, nous avons la chance de pouvoir nous retourner 15 à 20 ans en arrière et de contempler ce qui a été fait depuis. Ce qui a été fait et ce qui sous-tend toutes les innovations postérieures ou presque relève d'internet, alors concentrons nous sur lui.
Faire ce constat nécessite avant tout de regarder ce que l'Université a pu proposer et de comment elle a exploité les outils NTIC. En effet, nos études et notre profession relèvent encore d'une formation universitaire exclusive par des établissements de la République. Ces universités ont-elles utilisé les nouvelles technologies, outil formidable de démocratisation et de partage du savoir, pour renforcer leur mission, celle d'assurer à tout et à chacun de pouvoir, quelles que soient ses origines et sa condition, espérer devenir médecin un jour ? Pour le savoir, examinons ce qui a été fait sous l'angle de la devise républicaine :

LIBERTÉ

- Le contenu universitaire dédié à la formation est-il devenu plus accessible ?
- Ce contenu est-il devenu plus libre ?
- Ce contenu est-il devenu plus collaboratif ?

Voilà les questions qu'il me semble légitime de poser. Le constat qui découle des réponses qu'on peut y apporter est sévère : si le contenu existe, il est souvent verrouillé. Combien de facs mettent elles les cours de PACES et leurs annales en libre accès ? En ne le faisant pas, combien de facs favorisent largement le business parallèle, qu'il relève de la simple revente de photocopies à prix d'or ou carrément de celui des prépas privées ?
Quand le contenu existe, quand il est standardisé comme il peut l'être pour les ECN avec des productions réalisées par les collèges enseignants de chaque spécialité, pourquoi ce contenu est-il sous copyright quasi exclusif d'un seul et même éditeur ? Pourquoi ce contenu universitaire sert-il des intérêts strictement privés ? On me rétorquera que chaque production possède son équivalent gratuit disponible en ligne. Peut-être (mais pas toujours !), mais avec quel retard de mise en ligne, quel format parfois complètement inexploitable ? L'état des lieux est consternant quand on essaye de faire le listing du réellement disponible. Un vrai scandale qui n'émeut personne.
Enfin question contenu collaboratif la situation précédente explique que rien n'est possible. L'état de la science est figé par chaque nouvelle édition. Chaque mise à jour est autant de royalties faciles pour l'éditeur.

ÉGALITÉ

La question de l'égalité dans le monde universitaire est déjà bien posée. On le sait bien, je l'ai déjà écrit ici, la seule chose qui intéresse ces établissements c'est de savoir qui a la plus grosse (ECN, centre de simulation, nombre d'étudiants formés, tout est bon ...). Comportement préhistorique et réflexes pavloviens, c'est ce qui gouverne encore en 2017, c'est ce qui depuis 2004 a pris une ampleur destructrice avec les ECN (on y reviendra sûrement dans de prochains billets, car les ANaJMG ont été bien révélatrices à ce sujet).

Les nouvelles technologies, internet et le reste (simulation, enseignements numériques), posent un sérieux problème d'égalité des chances et de traitement des étudiants. D'abord entre étudiants de facs différentes. On le sait, celles qui se sentent les plus prestigieuses se rêvent en Stanford ou Harvard français ... et n'ont aucun problème éthique à rentrer dans un modèle élitiste alors que celui-ci n'a jamais été conforme au modèle universitaire républicain. L'irruption de la technologie, coûteuse, dans l'enseignement est un risque majeur de rupture d'égalité avec des établissements qui iront loin dans l'équipement et d'autres qui ne le pourront pas forcément.

Au niveau individuel maintenant, concernant chaque étudiant, difficile de ne pas voir comment l'intrusion des technologies, parfois avec des régressions pédagogiques spectaculaires, cf. les ECNi à ce sujet, est là encore un vrai problème dans l'égalité des chances. Quand un smartphone ou une tablette à 800€ est la porte d'entrée initiale à des entraînements nouvelle générations offert par l'université comme par le privé, on peut se demander si cela est vraiment raisonnable, surtout quand pédagogiquement cela ne change rien (et quand ce n'est même pas totalement régressif !).

Avant de terminer par la fraternité, il convient peut-être, puisque la question des ECNi est un vrai tremplin pour cela, de constater une chose évidente : les nouvelles technologies sont employées avant tout trop souvent comme des réponses à des problèmes budgétaires. Les ECNi ont été une mise en lumière aveuglante de cette façon de faire : il est même difficile de parler de retour en arrière tant ce concours, nommé autrefois concours de l'internat, n'a jamais eu, à ce que j'en sache, de modalités aussi stupides que celles de simple QCM comme actuellement.
Il convient aussi de regarder la pérennité de ce qui est réalisé : où sont les annales des premières ECNi ? Comment sont-elles accessibles ? Comment le seront-elles dans 5, 10 ou 20 ans ? En l'absence de standardisation préalable de ce genre de contenu, beaucoup de questions que j'ai déjà soulevées ici se posent également.

FRATERNITÉ

Dernier point de la devise républicaine, c'est sûrement celui qui a été le plus exploité, mais pas du tout par les Universités ! C'est bien des initiatives privées ou associatives qui ont tenté d'injecter un peu de compagnonnage via l'utilisation de site internet devenu par la suite réseaux sociaux.
Concernant l'université, on peut même se demander si les nouvelles technologies ne sont même pas exploitées totalement à l'encontre de cette valeur qui est pourtant un des fondements de la médecine et de son apprentissage.
La formation par DVD comme dans certaines facs, l'utilisation grandissante des simulateurs est elle vraiment une réponse adaptée à un métier dont la principale caractéristique est la relation humaine ?

POUR CONCLURE

Pour conclure, je dirais que les immenses promesses des nouvelles technologies en termes de formation ont été balayées par l'université médicale française. Pire, elles ont servi d'alibi à la mise en place, comme pour les ECNi, à des réformes dont la principale motivation est budgétaire. Pire encore, la négligence des ces outils a favorisé d'avantage la non-égalité des chances et a permis au business para universitaire privé de prospérer plus encore. On ne peut d'ailleurs blâmer véritablement ce dernier tant la nature et le libéralisme ont horreur de vide à ce niveau.
Le bilan de ces 15 / 20 dernières années est pour moi consternant et va malheureusement de pair avec une évolution d'une société qui se satisfait trop, à mon goût, de laisser un certain nombre d'individus sur le carreau sans que cela ne pose plus de problème à personne.

PROPOSITIONS

Voici 3 propositions simples, basiques, de bon sens. Le plus étonnant est de devoir en 2017 les formuler comme des propositions et non constater qu'elles sont déjà en applications ! La 4e, moins banale, est elle à mon avis un impératif qui doit rapidement trouver une réponse, faute sinon de déclencher des effets indésirables en cascade très rapidement !

1) Mise en ligne systématique et en accès libre du contenu d'enseignement universitaire et des annales des concours successifs pour chaque faculté. C'est ce qui aurait dû être fait il y a 20 ans déjà. C'est une réponse simple et probablement efficace permettant de contre-balancer le business parallèle, en particulier autour de la PACES.

2) Publication sous licence libre / open data de toutes les annales des concours nationaux afin que chacun puisse s'en emparer (je ne détaille pas les vertus de l'open data ...)

3) Abolition totale du copyright sur tous les contenus produits comme référence pour les concours nationaux, ECNi en tête. Chaque structure (éditeur, associations, particulier ...) devrait pouvoir proposer à partir de ce contenu sa propre version améliorée (illustrations, explications complémentaires ...), améliorations qui justifieraient alors réellement un prix de vente !

4) Mise en place d'un standard numérique pour l'échange et l'exploitation d'épreuves universitaires façon nouvelle technologie (voir ici).