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Bonne année, bonne (data) santé !

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Le feu. C’est la méthode qu’elle a choisie. Elle a tout brûlé. Elle avec. Ce matin, il ne reste plus que des murs, des cendres, son cadavre calciné.
Elle devait être sur les listes. Aujourd’hui, demain, forcément. Elle nous donne un peu de répit. Pour combien de temps ?
Tout a commencé il y a quelques mois. Non. En vérité, tout a commencé il y a au moins quelques décennies. Ce n’est pas comme si le siècle passé n’avait pas eu son lot de génocides. Ce n’est pas comme si on n’avait jamais exterminé sur des pseudo critères raciaux, morphologiques, ethniques.
Ils sont arrivés au pouvoir. On avait bien moqué les élections des autres pays. Des types tous plus improbables que les autres pour président. Et notre tour est arrivé. Beaucoup ont très vite senti que ça allait mal se passer. Beaucoup ont regretté leur vote. D’autres ont couru former des milices pour ce nouveau pouvoir. Rapidement plus personne n’a pu plus décider pour lui même. De la liberté, il ne reste plus qu’une définition dans le dictionnaire.

Elle, elle n’a pas fait de vague. Elle a continué à nous recevoir. Ses mots, nos mots, ont été calibrés. Pas un qui ne soit pas pesé. Pas un qui puisse trahir une idée ou un comportement maintenant interdit. Elle a continué à utiliser son ordinateur pour tout consigner. Ne pas le faire aurait été suspect.

Le recensement de la population a pris un nouveau tournant. Recensement est le mot officiel. Avant on aurait dit fichage. Flicage.
On nous a tant poussés dans les bras de la technologie ! « Dématérialisons notre société ! » Arguments écologiques. Arguments scientifiques. Arguments économiques. Nos avons tous joué le jeu. Nous avons consenti à voir nos vies consignées dans des datacenters. Serveurs géants privés ou publics, cela revient au même maintenant. Nous y avons mis notre identité, nos souvenirs, nos factures, notre santé. Aujourd’hui, c’est avec ça qu’ils dressent les listes.

Elle, elle a résisté professionnellement. Éthiquement. Elle a subi les moqueries de ses paires. Elle a laissé de côté toutes les incitations. Elle a fini par être sanctionnée financièrement. Sanctionnée n’était pas le mot. Elle ne touchait pas le complément de revenus. Cela revenait au même.
Elle avait eu une jeunesse très débridée. Une jeunesse comme il ne pourra plus y en avoir avant longtemps. Puis elle s’est brusquement rangée. Elle était devenue tout l’inverse. Presque « vieille école ». Elle travaillait simplement. Un ordinateur portable. C’est tout. Une autre forme de rébellion sans doute.
C’est ce qui nous a sûrement sauvés jusque là. Dans d’autres lieux, les listes sont établies depuis bien longtemps.

Comment depuis l’élection les choses ont évolué pour en arriver là ? Des simulacres de discussions dans un parlement aux ordres. Des décisions brutales qui tombent.
Il faut assainir. Assainir les finances. Assainir les pensées. Assainir l’identité nationale. Il faut des coupables à la situation actuelle. Il faut des exemples pour nous passer à tous l’envie de reproduise un jour ces comportements maintenant interdits. Les fichiers de polices, les données fiscales, tout ça a été vite triés. Et ça n’a plus suffi. Alors ils sont passés à l’exploitation des données médicales disponibles. Cela ne manque pas.

Depuis bien longtemps on parle d’un dossier médical partagé. Ça n’a jamais totalement décollé. Alors on a poussé sans garde fou des sociétés privées à accumuler des masses de données. Les acteurs se sont concentrés. Le marketing de ces boites et l’impacte décidé par l’État sur la rémunération des professionnels ont fait le reste. Tu ne remplis pas un logiciel privé de données ? On ne te paye pas. Si tu es patient, on ne te rembourse pas. On a même fini par confondre les acteurs. Qui possédait les données ? Qui les traitait ? Qui en faisait quoi ? Quand ils ont voulu assainir plus largement encore, il n’a suffi que d’une réquisition. Pour la forme. Et les listes ont considérablement enflé.

Elle, sa jeunesse tumultueuse lui a donné l’occasion de passer de l’autre côté. Plusieurs fois. Désintox, planning familial, services d’urgences … Elle n’était pas bavarde. Mais avant, chez nous, tout se savait. Un jour ou l’autre elle aurait fini sur les listes. Elle en avait conscience. Assurément.
Je l’ai consulté les premiers jours, quand tout a commencé. Elle avait lâché un imprudent « ça pourrait mal finir pour nous, ils n’ont qu’à se servir ». Elle ne s’était pas trompée. Pour elle, c’était terminé.

L’assainissement est maintenant de plus en plus profond. Au début, c’est le fanatisme religieux qui a pris le dessus. Rien de neuf. L’Histoire bégaye. Ils ont traqué les auteurs d’IVG. Puis les patientes. La détection est automatisée. On a vu des filles prépubères sur les listes. Mauvais codages d’antécédents dans les dossiers médicaux. Ils ont pointé aussi les patients VIH. Les porteurs mariés ne sont pour le moment que sur les listes complémentaires. Ceux qui ne peuvent justifier d’une liaison hétéro sur les listes principales. Les analyses des résultats biologiques sont enclenchées. Il faut assainir la population autorisée à se reproduire. Taux d’hémoglobine, transaminases, cholestérol … Qui sait comment les seuils sont réglés ? Qui sait avec quelles données cela est croisé ? Il faudrait être fou pour poser la question.

À Elle, nous devons notre survie actuelle. Nous devons ce sursis à sa résistance. Nous devons ce répit à son suicide. Mais à quoi bon ? Fuir, subir : des alternatives qui convergent irrémédiablement vers une dernière : mourir. Le fichage informatique est une arme de destruction massive à maturité depuis trop longtemps. Un clic à la portée du premier fou venu pour une méga explosion. On le savait. On l’a ignoré. Les fous sont là. On va le payer.
Un jour viendra peut-être où les ruines refleuriront. Pour nous, ce sera déjà bien trop tard.

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En 2019, il n’est pas encore trop tard pour résister à la tentation de l’agrégation de données médicales dans des bases de données géantes dont personne aujourd’hui ne peut garantir l’usage qui en sera fait demain.
2018 nous a montré comment le numérique pouvait manipuler les peuples et les pays, souhaitons que 2019 marque le déclin débutant de ces conduites fondamentalement dangereuses, en santé comme ailleurs.
Bonne année à tous !