S'abonner à un site qui n'affiche ni pub ni articles "sponsorisés", ne vend pas vos emails ou vos profils n’est pas une option, c’est la seule solution pour que demain il existe encore ! Soutenez MedShake, abonnez-vous ou faites un don ! [message masqué aux abonnés]

Pénurie médicale : jeu d'illusions et solutions simplistes

Publiée le par

logo billet
logo billet
Ça s'agite, mais ça n'agit pas beaucoup concernant la "pénurie médicale" actuelle. Disons-le clairement, personne n'a présenté de réelle solution depuis que le sujet est sur la table. Pour le moment, c'est la grande illusion : si on voulait juste attendre que le creux de la vague passe, on ne ferait pas autrement.
Commençons par un rappel qui devrait être martelé chaque fois par la profession quand on parle de la pénurie médicale et des déserts médicaux : cette pénurie a été voulue, prévue, organisée. Il ne s'agit pas d'un concours de circonstances, pas d'une épidémie mortelle touchant les médecins. Il ne s'agit pas non plus d'une simple incompétence politique comme certains aiment à le laisser entendre (même s'il y a bien une réelle incompétence à ne pas entrevoir les effets secondaires de ses décisions prises en pleine conscience à l'instant t et à s'en laver les mains !).
Cette situation est organisée depuis 1971 sur un principe simple : "moins de médecins, moins de dépense de santé". Elle doit également à l'acquiescement des syndicats médicaux qui ont cautionné les choses sur l'idée "moins de confrères, plus de chiffre d'affaires".

Soyons clairs : ce que je dis là, je ne l'ai pas inventé. C'est un travail historique relaté par exemple dans le livre de Paul Goupil, journaliste à Ouest France, intitulé "Qui va nous soigner ?" (éditions Dialogues). Il consacre dans cet ouvrage 5 ou 6 pages à l'historique des causes de la situation actuelle. Il montre que c'est seulement en 2004 avec Jean François Mattei au ministère de la Santé que causes et conséquences de la politique des 20 années passées ont été reconnues de la bouche du ministre.

Voilà pour ce préambule.

Concernant la situation actuelle, on souhaiterait que seul le temps fasse son affaire qu'on ne s'y prendrait pas autrement. C'est vrai, même s'il faut 10 ans pour former un médecin, même si les départs en retraite s’accélèrent, la démographie médicale finira bien par repartir à la hausse. Alors, pourquoi se casser la tête ?
Pourquoi risquer de présenter des solutions innovantes qui pourraient, nom d'un petit ministre, renforcer la profession, la rendre performante, lui donner un vrai travail de professionnel bac +10 ?

Examinons donc ce qu'on nous sert depuis un moment déjà.

La contrainte à l'installation : un non-sens. De la nourriture pour journaliste, probablement distribuée gentiment par le politique pour passer le temps et faire oublier sa responsabilité initiale.
Première question : connaissez-vous beaucoup de toubibs chez eux qui attendent que les jours passent en se faisant les ongles ou qui sont inutiles là où il sont ? Deuxième question : entre un salariat temps plein 35h avec protection sociale au top et un exercice seul 55h par semaine dans un coin paumé, sans équipe, 40 ans entre les mêmes 4 murs, que choisissez-vous ? Troisième question : si l'état veut des médecins à placer comme de pions, cela s'appelle un fonctionnaire, pourquoi n'en crée-t-il pas ?
Reformulons : en période de pénurie, tout le monde a du boulot et tout le monde se tourne vers l'offre la plus sympa, pour une qualité de vie sympa. Médecins, maçons, plaquistes, électriciens : même combat. Cela n'a rien de spécifique au médical. Si l’État veut des gérer les toubibs comme des profs, qu'il en fasse des fonctionnaires. En attendant contraindre une profession libérale c'est juste infliger une peine multiple à des pros qui n'ont pas signé pour ça et qui majoritairement sont d'ailleurs dans un sale état psychologique.

Les maisons de santé : c'est l'idée à la con du siècle. C'est comme si après une bonne grippe espagnole, après quelques millions de victimes, on construisait des logements flambants neufs pour des âmes qui n'existent plus.
C'est penser que tous les survivants allaient quitter leur logement déjà largement financé, si ce n'est pas totalement, pour entrer du jour au lendemain dans des murs tout neufs, plus chers, avec plus de charges (la gardienne, la société de ménage l’ascenseur, l'interphone vidéo ...) et sans fondamentalement que leur vie soit modifiée.
Oui, car c'est bien l'équation : que croyez-vous qu'un type à 5 ou 10 ans de la retraite, c'est-à-dire la majorité de la population libérale en activité, va faire quand il va voir la note de son incorporation dans ces beaux locaux ? Il va répondre "non merci". Son cabinet est payé, son fonctionnement rodé ... Alors oui, si on le contraint avec des effets de bord type loi sur l'accessibilité, certains n'auront pas d'autre solution que de migrer ... mais sûrement pas pour aller payer une ou deux secrétaires communes dont ils se sont toujours passé.

Voilà les 2 grandes directions du discours ambiant depuis quelques années. Des solutions sans sens si elles ne sont pas radicales (fonctionnarisation des médecins pas exemple !).

Le plus tragique dans tout cela, c'est que des médecins, il y en a sûrement assez si on les employait à faire ce pour quoi ils ont été formés 10 ans : de la médecine, rien que de la médecine.
Mais qui aujourd'hui en libéral fait majoritairement de la médecine ? Peut être les médecins en secteur 2, à honoraires libres, des chanceux qui ont de quoi, comme les autres professions libérales, se payer du personnel. Les autres, sous couvert de révolution numérique, font de plus en plus le boulot de la CPAM qui elle ne doit pas se priver de dégraisser en personnel. Tous passent leur temps à gérer un quotidien qu'on englue de paperasse et de normes délirantes pour des TPE (j’adore celle qui dit qu'un médecin doit avoir un extincteur quand il a une secrétaire ... car oui s'il n'en a pas, ses patients ont le droit de flamber eux ... mais pas la secrétaire !).

Cette situation de pénurie médicale dont Mattéi a, rappelons-le, reconnu en 2004 cause et conséquence était une occasion incroyable de recaler le rôle du médecin dans le système de santé, tout comme celui des nombreuses autres professions. Toute la pyramide de soin pouvait être repensée, aux bénéfices de tous les professionnels et des patients*, en revalorisant l'action des paramédicaux et en faisant du médecin un vrai chef d'équipe exploitant à chaque instant ses 10 ans de formations ("payés par la société" est un argument qui revient très souvent, alors autant que cet argent dépensé 10 ans ne serve pas à former des types à faire du bac +3 80% du temps ...).

Aujourd'hui en 2017, on commence seulement à parler de ces sujets de délégation de tâche, en arrière-plan des "solutions" que j'ai démontées plus haut. On l'applique en catastrophe dans certains domaines (sages-femmes et droit à l'exercice de la gynéco) pour du rapiéçage d'urgence.
Mais qu'a-t-on fait depuis 2004 ? Encore une fois, il n'y a pas eu d'épidémie mortelle, de nouveaux concours de circonstances. À qui fera-t-on croire que la statistique française est aussi mauvaise que cela et que personne ne voit rien venir ? Les causes sont sûrement multiples : absence de courage du politique qui se soucie de son mandat, plus rarement de ses actions. Idéologie de la profession qui se croit toute puissante et qui est incapable de remettre en question son absolutisme médical, syndicats occupés à mendier un euro tous les 5 ans et à organiser une danse de la victoire quand cela arrive ... Bref, rien n'avance, rien ne change, tout le monde contemple son petit nombril et le nettoie avec amour.

En conclusion, jeunes ou futurs confrère, réfléchissez y bien : en 2017 le seul avenir de la médecine libérale reste toujours majoritairement un exercice sous pression pendant 40 ans de carrière, seul entre 4 murs (vous aurez sûrement le droit de passer un coup de peinture tous les 5 ans ...). Les fluctuations au petit bonheur la chance du numerus clausus n'écartent pas l'hypothèse qu'un jour vous connaissiez une période totalement opposée à celle-ci : trop de professionnels se disputant les patients comme il y a 40 ans. Et pour peu que les nouvelles technologies explosent comme certains augures aiment à se l'imaginer ... L'exercice de la médecine, pour ceux qui choisiraient cette voie aujourd'hui, après les plus longues études universitaires de ce pays, pourrait vous obliger à cultiver votre potager pour survivre ...
Assurément, les politiques s'en frotteraient les mains.
Quant à l'exercice hospitalier, il suffit d'avoir regardé les derniers reportages TV (Cash ou Arte) pour savoir ce qu'il en est. Les choses ne s'arrangeront pas, car il existe chaque jour de moins en moins de raison que la santé soit encore considérée comme un domaine à part du monde économique général.


Winter is coming.
Winter is here.

* Un mot sur les bénéfices pour le patient, car on peut imaginer que je ne défende ici que la cause financière et le statut de "chef suprême" du toubib. Il n'en est rien : pour moi le médecin doit être un scientifique qui a le temps de la prise en charge et de la recherche pour les cas qui le nécessitent. Cela veut dire un médecin qui n'enquille pas les consultations en regardant sa montre et en concluant au plus vite, avec l'idée de revoir plus tard ce qu'il n'a pas le temps d'approfondir de suite et de comprendre. Quand on voit 40 patients par jour, il est impossible d'avoir du temps pour approfondir sereinement et cela se traduit forcément, tôt ou tard, par des ratés de prise en charge et une baisse de qualité du soin.

PS : n'oublions pas que dans ce pays on lutte contre le cancer à coup de plans financiers et de communication, mais qu'on ne retire pas le glyphosate (entre autres) immédiatement des rayons ... Crime contre l'humanité pour cause économique, il n’y a pas d'autres mots. Alors c'est vrai que la réinvention de la médecine ... houla on en demande sûrement trop ... !